L'article de Paris-Normandie

 

L'indicatif de la Télévision française photographié avec une pose de trois secondes sur le récepteur de Blosseville-sur-Mer

L'indicatif de la Télévision anglaise (Tuning signal : signal de réglage) photographié sur le même appareil dans les mêmes conditions

M. Juin devant son appareil

 

 

A BLOSSEVILLE-SUR-MER

un radio-électricien capte les

émissions télévisées anglaises et françaises

MAIS IL LUI FAUT UN POSTE DE TRENTE LAMPES

 

 

Un reportage d'Yvon PAILHES publié dans les colonnes de Paris-Normandie dans les années 1950.

Le miracle se réalise chaque jour dans le petit village du Pays de Caux, perché sur la falaise, à quelques kilomètres de St Valéry. A Blosseville-sur-Mer, un récepteur capte les émissions de la Télévision Anglaise et celles de la Télévision Française.

Il ne s'agit pas d'un récepteur quelconque bien sûr. Celui-ci possède trente lampes. Il a été construit avec amour par un enfant du pays, M. André Juin, radio-électricien passionné, qui y a consacré environ une année de travail et un certain nombre de billets de mille. Travail obscure, semé d'embûches, de difficultés.

Pensez donc, Blosseville-sur-Mer est situé à près de 200 kilomètres de Paris et à plus de 200 kilomètres de Londres. On sait que l'onde ultra-courte de télévision est infiniment capricieuse. Les techniciens et exploitants les plus qualifiés déclarent que sont rayon d'action est d'environ 70 à 100 kilomètres autour du point d'émission.

Miracle. N'est-ce pas un miracle d'ailleurs que de capter ainsi des images à travers l'espace, maîtriser l'onde qui les porte. Les explications les plus détaillées du phénomène ne parviennent pas à lui enlever cette espèce de caractère surnaturel qui nous laisse confondus, tels les primitifs d'Afrique devant un phonographe.

On dit que l'onde de télévision prend la tangente de notre planète à la façon d'un rayon lumineux et file dans l'éther, hors de portée des antennes réceptrices. L'expérience de Blosseville-sur-Mer, celles d'un nombre important déjà de techniciens plus ou moins "bricoleurs" disséminés dans un large rayon autour de Paris, en Normandie notamment semble monter que la version officielle, théorique, n'est pas rigoureuse. Se produit-il un phénomène de réverbération, de rayonnement ? L'onde de télévision se propage-t-elle comme une onde ordinaire ? On ne serait le dire.

Sur l'appareil de M. Juin l'onde est en tous cas là, constante il est possible de voir et d'écouter une émission télévisée à Blosseville-sur-Mer depuis A jusqu'à Z, de Paris comme de Londres, sans en rien perdre. Et c'est encore un mérite de plus pour le technicien que d'avoir su adapter son récepteur aux deux définitions différentes (Ang. 405 lignes; Franc. 455 lignes), aux longueurs d'onde différentes (Ang. Son : 7m.23; Image : 6 m. 67; Franc. Son : 7 m. 14, Image 6 m. 52). L'installation de l'antenne et son orientation, qu'il doit changer selon qu'il veut atteindre Paris (Tour Eiffel) ou Londres (antenne d'Alexandra Palace), lui ont demandé des recherches minutieuses.

Mais... il y a un mais. De nombreuses perturbations lui causent parfois les pires ennuis. Si l'émission est bonne par beau temps, elle peut être très mauvaise, sinon impossible lorsque l'atmosphère est instable. Et c'est pourquoi il parait difficile de commercialiser la télévision dans notre région, du moins pour le moment. Le "cochon de payant" qui paiera le bon prix (car il faut pour de telles distances les appareils les plus perfectionnés, 200.000 francs et plus) n'admettra pas ces inconvénients.

Il y a le "fading" dont ce poste souffre quelquefois, spécialement les jours de tempêtes. Les images se voilent alors, les lignes, ces fameuses lignes qui sont en quelque sorte la trame de l'image, sont plus apparentes. Il y a les parasites. Les moindres : une auto qui passe sur la route voisine, un moteur lointain, l'émetteur d'un phare côtier situé à plusieurs kilomètres, troublent l'image, inondent l'écran de lumière vive, le zèbrent d'éclairs.

Il n'empêche que les jours où "ça marche", et c'est encore le plus souvent, la télévision chez soi doit être bien agréable. Notre téléspectateur de Blosseville a pu voir dans la perfection sur son écran de 30 cms. le reportage en direct du match de rugby France-Angleterre. Il a pu assister la veille de Pâques dans les meilleurs conditions à l'ordination de vingt prêtes dans la chapelle des Carmes. Chaque soir, il suit un film français ou un gala de variétés. Les "Actualités Françaises" lui sont offertes à domicile. Le "Topical Magazine" lui présente des documentaires d'Outre-Manche, des reportages sur les activités artistiques londoniennes, nous fit voir de bien jolies girls.

Télévision ! quel changement dans notre vie, dans nos habitudes, apporteras-tu ! Hélas, nous ne la possédons pas encore. La télévision est réservée, on le voit, à quelques privilégiés. Mais parmi ces derniers, se trouvent des travailleurs acharnés, des chercheurs qui, comme M. Juin, sont les artisans désintéressés du progrès avant d'être ceux qui, nous le souhaitons, introduiront l'extraordinaire invention dans tous les foyers.

X X X

- En vue d'une éventuelle enquête sur les possibilités de Télévision en Normandie, nous serions reconnaissants aux techniciens et amateurs de télévision que nous n'avons pu toucher directement, de nous fournir quelques renseignements sur les conditions de réception de leurs appareils.

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